J'me disais, nan le mets pas, c'est
perso ça.
Pis après tout ... quelle vanité ? Non. Je viens de lire une histoire de Rizoma qui affine l'avant ... voilà ça déclenche. Des choses. QUE des choses.
Aucune réponse n'est nécessaire.
Surtout pas.S'pas fait pour. Loin de là.
Juste pour partager ce petit machin, peut-être susciter, provoquer, déclencher, rien de plus.
Juste comme ça, en passant.
Un jour, il y a déjà quelques années, un type, avec qui je bossais, avec qui ça passait bien, m'a expliqué que la moto n'est qu'un moyen. Un simple moyen.
Un moyen de découvrir, de s'évader, de voir les choses autrement.
Sauf qu'il y a quelques années, j'étais encore un gamin, et je n'ai compris que le côté touristique et pratique de son explication.
En effet, ce gars adorait l'Irlande, y allait régulièrement en moto et je ne percevais que l'évasion du voyage et que le voyage en moto.
Puis un jour, il a disparu.
Du jour au lendemain.
Pourtant, notre boulot n'admettait pas la désertion, mais lui en a eu rien à branler, et est parti. Un trop plein de tout, chacun son chemin. Lui avait trouvé le siens au point de plus avoir de considération pour le reste. Bonne route. Qu'elle te soit belle.
Depuis, je pense à ce type, quelquefois. Et à chaque fois que je pense à lui, cette petite idée qu'il m'a mis en tête germe, grandit, évolue. Ma compréhension de ses mots prend sa dimension, probablement propre à mon cheminement personnel également. C'est la différence entre l'éducation et l'expérience.
Il est des mots qui marquent, des types dont tu te souviens. D'ailleurs j'en ai connu un autre, de « différent », à la même époque. Que j'ai retrouvé il n'y a pas si longtemps. Étrange tout de même, cette vie où les routes se croisent, à bientôt, dans longtemps ou pas on s'en fout, c'est comme ça. Je vais le revoir aux journées Coyote et ça me rempli de joie sans pour autant savoir pourquoi. C'est comme ça. Parfois, il faut renoncer à qualifier, pour simplement apprécier. Pas si facile, le « simple ».
Bref, revenons-en à la moto qui n'est qu'un moyen. Je disais donc que je ne percevais que la partie visible du glaçon. Toute petite.
J'avais à l'époque, jeune permis en 4 cylindres consensuel, une approche assez consumériste de la moto. Puis ça a commencé … j'ai, un jour, sur le parking du boulot, vu arriver une GS850G … roaaaaa ce bordel que faisaient les Sito adaptables …. pis qu'elle était grosse !!!! deux jours après, j'échangeais ma moto toute neuve, contre cet étron merdique puant à repeindre et à remettre au propre.
J'ai passé du temps sur cette moto, avec plein de monde et avec plus ou moins de succès.
Après quelques années, ce qui m'en reste, ce n'est ni la moto, ni le succès des réparations, c'est ce fameux temps.
Ce sont les moments passés avec les potes dessus, à utiliser la poignée de gaz pour attacher un lapin et lui retirer le pyjama, plombs apparents, pendant que l'autre bidouille je ne sais quoi sur la brêle, c'est réussir à la faire craquer à 3 heures du mat' dans un garage en terre battue par zéro degrés et réveiller tout le quartier en trinquant avec je ne sais plus quel picrate qui avait le magnifique goût du succès entre potes, c'est accélérer à son guidon et être le plus rapide du monde pendant que les larmes dues à la vitesse de l'engin coulent vers les oreilles. Si ça se trouve je me trainais à 110, mais qu'est-ce que j'allais vite, sans freins au milieu des bouses et betteraves, avec le jet qui se décollait vers l'arrière de ma tronche ...
C'est faire le voyage de la décennie à son guidon, contre les avis de tous qui s'attendaient à venir me chercher en rade à 20 bornes du garage, pour aller voir un pote, juste comme ça … Ha l'époque sans femme et sans enfants … aucune nostalgie, que des souvenirs impérissables.
Ce matin où, tu te reconnaîtra sans doute mon grand, ce fameux matin où, allant boire un café au rade du bled d'à côté, on roule comme des décérébrés, tu me fais signe « 2 » tout fier, et moi aussi j'enquille derrière, je te double en te faisant le même signe avant le stop (finalement, avec le recul, tu avais juste freiné plus tôt). Arrivé au stop, tu me fais « 2 », chuis monté à 200 !!!!! Et moi de te répondre « waaaa moi le « 2 » c'était 120 !!!!!! C'te crise …. qu'il était bon, ce café, on aurait dit des combattants « que tu peux pas comprendre toi, t'y étais pas ». Putain que c'était bon. En fermant les yeux, j'ai encore le goût du café, l'odeur du blanc et la voix du vieux au coin du zinc …
Bref, un moyen. Juste un moyen. Et pourtant, du garage, on n'a pas bougés beaucoup, avec cet étron de GSG (c'te classe elle avait un moteur de mille, t'imagine, la puissance apocalyptique !), de St Firmin au troquet yavait quoi … 8 bornes ? La distance importait peu. Arrivés, yavait toujours cette larme qui va vers l'oreille, la goutte invisible qui te fait renifler de bonheur, la parka kaki à capuche pas adaptée que tu t'en rends même pas compte, qu'elle était bien pratique pour que derrière mon poto, j'y mette mes mains pour pas avoir froid. Ça, c'est de l'amitié. Des putains de souvenirs. Grâce à la moto, qu'on oubliait finalement, car chaque week-end prévu pour mécaniquer, soir sur la GS soit sur le SR, ben finalement, on n'a presque rien foutu. Juste de quo irecharger la batterie pour repartir, con que j'étais, pas de kick t'imagines ? On était bien, et ça, c'est inestimable.
Des souvenirs comme ça, ça a bien plus de valeur que ceux d'un flirt pourrave de saison estivale, parce-que justement ya pas de saison. Et pourtant, c'est la même tendresse qui s'en dégage.
La moto n'est qu'un moyen.
C'est que même quand je lui offre un accessoire inutile donc indispensable, celui-ci importe peu, finalement. C'est ce moment où je le lui monte. L'objet importe peu, c'est le moment qui compte.
Parce-que, maintenant souvent seul, la vie faisant que soit tu perds de vue soit tu dégages, parfois aidé par un mot malheureux de trop ou une attitude hautaine malvenue, je me retrouve justement tranquille, débranché, déconnecté.
Non pas nécessaire parce-qu'on me fait chier, bien au contraire, ma vie n'a jamais été aussi magnifique. J'aime ma femme et ma fille, je suis persuadé que c'est réciproque.
Mais cet objet qu'est la moto, qui pour d'autres est une collection de timbres, une canne à pêche, un ballon ou des baskets, me permet de poser le sac à dos. Ce sac, on l'a tous. Avec l'habitude parfois on l'oublie, mais il est là. Parfois les bretelles sont douloureuses, parfois il te tient chaud au dos.
Et sac posé, c'est là, comme ça, que tu voyages le mieux. Et une fois que tu as voyagé un peu, pas si loin, là, tu te rends compte que la forme, la couleur, la marque, la puissance, importent peu. (bon faut quand même pas déconner, on va pas non plus se trainer la teub sur du Vaporetto japonais, ou alors du vieux, gardons un pied dans la vie réelle tout de même).
Alors quand tu rencontres des types qui savent aussi, qu'on voyage mieux le sac à dos posé, ben le voyage n'en est que plus beau. T'es plus seul, et pourtant, être accompagné est accessoire.
Des types, ou des images, des souvenirs, des textes, des sensibilités, un truc qui fait que, quoi. Un truc que t'as pas besoin de définir. T'es bien, quoi. Peinard.
Un moment privilégié, avec toi-même, avec d'autres, un moyen quoi. Avant de reprendre ce putain de sac que tu ne peux pas laisser là, car il fait partie de toi, rien que pour mieux le reposer en ayant toujours conscience du privilège que tu as de pouvoir le faire. Tu fais avec et c'est pas si mal, parce-que sans, tu ferais quoi ?
Voilà, du Connemara à mon garage. De ma saucisse de foie avec de l'anis Gras sur la terrasse tout juste terminée, au café vert éthopien grillé sur le poêle de mon Pote.
Certains sont morts. Douleur. D'autres taillent la route, à la prochaine croisée, d'autres sont là, venant d'arriver ou sur le départ. Chacun son sac. Chacun sa vie, chacun son plaisir. Chacun son moyen. Le miens, c'est la moto.