Bon, je vais rafraîchir un peu l'ambiance

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Il est 10h ce dimanche matin. La température peine à atteindre les zéros degrés même en plein centre de Paris. Je me suis équipé le mieux possible pour résister au froid et me sens totalement engoncé dans les diverses couches qui constituent ma tenue.
Le bagster est plein à craquer, les pressions des pneus sont faites et la chaîne est graissée.
Je vérifie une dernière fois que l'essentiel (clefs, carte bleue) est accessible car une fois parti, pas question de devoir tout déballer.
Je grimpe sur la moto. Elle démarre péniblement, ça fait plusieurs semaines qu'elle n'a pas servi. Les premiers mètres sont délicats, je suis gêné par l'épaisseur de mes vêtements, raidi par le froid et le manque de roulage récent.
Une dizaine de minutes en ville, pas un chat, ça m'arrange. Un dernier feu, puis les quais de Seine et enfin l'autoroute. C'est parti pour 520 kilomètres.
Une espèce de brume s'étend sur l'autoroute dès qu'on sort des zones denses. Des gouttelettes d'eau se déposent sur ma visière. Je passe le doigt pour les évacuer, ce ne sont pas des gouttes d'eau, c'est du givre.
La route risque d'être plus difficile que prévu. La chaleur que j'ai emmagasinée en me préparant commence à s'évacuer. Je me recroqueville pour offrir le moins de surface à l'air.
Clac, clac, clac. Qu'est-ce que c'est ? Un bruit sur la droite du casque. Pas besoin de chercher longtemps : ma jugulaire, que j'ai attachée en gardant mes sous-gants, commence à se détacher. Je n'ai pas d'autre choix que de m'arrêter. Je prends la première sortie, enlève les gants, les sous-gants et rattache ma jugulaire. Ca ne prend que quelques dizaines de secondes, mais c'est suffisant : mes mains sont définitivement froides.
Limitation à 130, j'approche de la sortie de l'Ile de France. Le vent rappelle cruellement à mes doigts qu'ils auraient mieux fait de rester au chaud.
Et le chargement sur mon bagster commence à se faire la malle, je suis obligé de le retenir avec mon bras droit. Ca attendra le péage, qui ne tarde pas. A nouveau, les mains directement au froid pour sortir la carte bleue, récupérer le ticket, ranger tout ça comme je le peux. J'en profite pour refaire le chargement qui, cette fois, ne bougera plus.
Je repars, les mains sont cette fois-ci définitivement froides. La buée fait son apparition malgré le pinlock. J'entre-ouvre la visière, le vent chasse la buée mais me glace le cou et le menton. Je suis calé entre 120 et 130km/h, sur la file de droite. Pas un chat. Heureusement, car je suis tellement raide que j'imagine mal faire une manoeuvre d'urgence dans ces conditions.
Le paysage défile, le givre recouvre une bonne partie des champs. Quelques plaques de neige sont visibles dans les zones ombragées. Dans ma tête, je me remémore le parcours : un arrêt vers Châlons pour déjeuner, une pause à Metz, une troisième en Allemagne.
Il reste 150 bornes avant le premier arrêt.
Je ne tiendrai pas.
Un panneau annonce une aire d'autoroute à 50 kilomètres. J'y stoppe.
Il est midi, j'ai fait 100 bornes. Le thermomètre de la station annonce -2°C.
Je décide de me contenter d'un chocolat chaud, et reprend la route dès que je me suis suffisamment réchauffé. Cette fois-ci, pas question d'enlever les gants avant le prochain arrêt.
Cette pause m'a fait énormément de bien. Ma tenue de cosmonaute est parfaitement étanche, je ne sens pas le moindre courant d'air. Un soleil pâle commence même à faire son apparition. Dans ces conditions, j'enquille et hausse un peu le rythme. La neige dans les champs, illuminé pas la lumière diffuse donne un paysage sublime. Le froid recommence à s'infiltrer dans ma poitrine, mais gentiment, doucement. C'est encore tout à fait supportable.
Je passe Reims, Châlons.
Je trompe l'ennui en comptant les kilomètres entre les stations service ou en jouant avec les différentes fonctions du tableau de bord. Curieusement, la pression de l'air ne me gêne pas plus que ça.
ll est 13h, je devrais m'arrêter pour déjeuner mais j'ai déjà perdu pas mal de temps. Prochaine station à 45 km. Je teste mes doigts : ok, ça tiendra.
Peut-être.
La température chute brutalement alors qu'on approche les contreforts des Ardennes.
Le froid gentil que je ressentais dans les doigts se transforme en gel mordant. Je me recroqueville sur la moto, je ne pense plus qu'à une chose, m'arrêter. 35km. Encore 35km.
30km.
27km.
Ca n'avance pas.
J'essaie de me focaliser sur autre chose. En haut des cotes, je vise le haut de la cote suivante et me concentre dessus.
15km.
J'ai les doigts gelés. Je teste, c'est bon, j'arrive encore à attraper le levier d'embrayage ou de frein.
5km.
La forêt de Verdun fait encore chuter la température. La neige couvre jusqu'à la bande d'arrêt d'urgence.
L'aire d'autoroute, enfin !
La voie de décélération n'est pas déneigée. Pas plus que le reste de la station, d'ailleurs.
Je m'arrête pour faire le plein. L'absence de vent fait soudainement remonter la température de mes mains. Ca me brûle, je suis incapable de saisir le pistolet à la pompe. Seule solution pour bloquer ça : enlever les gants histoire de limiter l'apport de chaleur. Ca marche. Je fais le plein, pousse la moto dans la neige jusqu'au bâtiment dans lequel je m'engouffre.
La suite tout à l'heure
